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Votre première traversée Empty Votre première traversée

Sam 29 Mar 2014 - 12:34
Aux zamis navigateurs navigatrices!

  Ca serait intéressant pour ceux et celles qui comme moi font partie des cabotins et cabotines que vous nous racontiez un peu vos belles navigations , vos périples… histoire de nous faire partager vos aventures, vos émotions.  Nous on cabote entre Cap d’agde et cap Creus ! Wink

  J’aimerai bien connaître vos impressions lors de votre première grande traversée (par exemple Corse ou Baléares). sunny
Flora;)
Flora;)

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Sam 29 Mar 2014 - 16:56
Curieusement, je n'en ai pas un souvenir très précis de ma première traversée de + 24 h avec la première nuit en mer...
C'était en septembre 79 sur un Gin-Fizz de location, entre Port-Vendres et Puerto-Soller (Majorque, Baléares). Nous étions 4 couples d'amis + mon fils qui avait 3 ans et 1/2.
Le CdB fut désigné à l'unanimité, Jean-Marie, moniteur des Glénans devenu un ami, puis le parrain de mon fils ! C'était de loin le plus expérimenté, un gars  super agréable et pédagogue en plus. RAS, tout s'est très bien passé, les quarts se sont enchaînés par couples, personne n'a été malade et nous avons mouillé à Puerto-Soller au petit matin du 3e jour (nous étions partis de Port-Vendres en milieu de journée). 48 h de nav donc.
Je me souviens du nom du bateau : Margaritta, PV !!!

Bien entendu, nous naviguions sans les aides actuelles (c'était bien avant le GPS et même le Satnav). Sur les bateaux de location, il y avait une radio-gonio, un compas de relèvement et c'est à peu près tout. Même pas de sondeur, une simple sonde à main.
On naviguait à l'estime, avec cartes à jour, règle Cras et un loch-enregistreur.

Il n'était pas rare que les marins novices ratent les Baléares, j'en connais !

Nous avons fait le tour de Majorque en une dizaine de jours, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, avec une longue escale à Cabrera, à l'époque c'était libre, on ne pouvait pas débarquer, c'est tout. 

La traversée de retour fut beaucoup plus agitée avec une nuit très brumeuse au large du cap Creus ; je me souviens d'avoir un peu angoissé au milieu d'une flotille de pêcheurs au lamparo. 

Le clou, ça été la visite de la Douane à l'approche de Port-Vendres : fouille en règle de tout le bateau, pour rien bien sûr !

J'ai des photos, mais je sais toujours pas les publier ici !!!
Romuald
Romuald
Admin

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Sam 29 Mar 2014 - 17:12
Flora, envoie-moi tes photos par mail, je les publierai dans ton post.


Dernière édition par Romuald le Sam 29 Mar 2014 - 17:20, édité 1 fois
Flora;)
Flora;)

Votre première traversée Empty Les photos...

Sam 29 Mar 2014 - 17:15
Comme les photos s'empilent par le haut, on commence par la fin, le retour musclé !
Ma copine novice a enfin vaincu son mal de mer, elle sourit bien grand, alors que je parais bien concentrée sur le compas... j'aime toujours pas les barres à roue !

Votre première traversée Ginfiz13

Parait bien petit aujourd'hui ce winch ?... 
C'est moi la brune à grosses lunettes !

Votre première traversée Ginfiz12

Mouillage tranquille à Cabrera, on s'est tous essayés à la planche, une nouveauté à l'époque...
Votre première traversée Cabrer10


A l'aller, petit temps, on a même sorti le spi... et l'accordéon.

Votre première traversée Ginfiz11Votre première traversée Ginfiz10


(l'ami jpla m'a donné l'élan, je suis allée farfouiller dans mes cartons !)


Dernière édition par Flora;) le Lun 12 Mai 2014 - 12:40, édité 10 fois (Raison : Fouillé dans les cartons !)
H2oh!
H2oh!

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Sam 29 Mar 2014 - 17:38
Chouette ton récit Flora, vivement les photos!
flora a écrit:Nous avons fait le tour de Majorque en une dizaine de jours, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, avec une longue escale à Cabrera, à l'époque c'était libre, on ne pouvait pas débarquer, c'est tout.
tu veux dire quoi par là?
Flora;)
Flora;)

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Sam 29 Mar 2014 - 17:50
Je crois (à confirmer car je n'y suis pas retournée depuis les années 90) que Cabrera est très protégée maintenant, il faut un permis et on ne peut pas y rester + de qqs jours. C'est plus organisé, il y a des corps-morts et on peut débarquer à un seul endroit (où il y a des trucs à acheter... non, tu crois ?)
Mais c'est un mouillage très protégé, bien fermé, vaste, magnifique.
Tant que j'y suis dans les anecdotes...
Une nuit dans les années 80, j'y étais avec L'Oustal, le Flot 40, mon mari et mon fils qui avait alors 7 ou 8 ans : on était à peine à 3 ou 4 bateaux, on a été réveillés par des bruits suspects, furtifs, un peu inquiétants, on comprenait pas ce qu'il se passait. A l'aube, un zod militaire avec des gars en tenue camouflée et armes à la main, est venu à couple : c'étaient des manoeuvres, ils simulaient un "golpe de mano"...
Là j'ai pas de tofs !
H2oh!
H2oh!

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Dim 30 Mar 2014 - 10:44
Flora;) a écrit: A l'aube, un zod militaire avec des gars en tenue camouflée et armes à la main, est venu à couple : c'étaient des manoeuvres, ils simulaient un "golpe de mano"...
C'etait pas en février 81? (Tejero) En tout cas, vous avez dû avoir une sacré trouille! Shocked
Flora;)
Flora;)

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Dim 30 Mar 2014 - 10:49
Je ne sais plus exactement, ça pouvait être octobre 83 ou bien juillet 85... mais pas en 81, le bateau était encore en chantier !

Oui on a un peu gambergé qq tps pendant la nuit... mais c'était "pour rire", ils étaient pas armés pour de vrai !
arthur gordon
arthur gordon

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Lun 5 Mai 2014 - 18:48
Heup !
 Alors, personne pour raconter ? On vous jugera pas, promis. Votre première traversée 2143587203
kobaya
kobaya

Votre première traversée Empty allez je me lance..

Dim 11 Mai 2014 - 18:45
Souvenirs de ma première "grande" (!) traversée Açores - France... au siècle dernier  (1978)!  Cool 


 
 



Votre première traversée 10070710









HORTA, île de Faïal – Açores. A mon grand regret, je n’ai pu voir de l’île que son port. Le temps manquait pour en faire la visite, et encore un contretemps imprévu (les affaires de Marc, l’un des équipiers, bloquées à Madrid) nous a permis d’y rester deux jours supplémentaires.


Horta reste pour moi un souvenir feutré, en demi-teintes, presque silencieux, et je n’en garde ni bruits, ni odeurs. Par contre les images fourmillent d’elles-mêmes et se bousculent…

 
Cet immense môle, que je longe pour la deuxième fois, où tant de noms sont gravés ou peints dans la pierre, certains célèbres, la plupart inconnus. Dessins naïfs ou œuvres d’art, ils se côtoient, se chevauchent, s’entre mêlent, parfois recouvrent un précédent témoignage. Eux aussi sont venus par la mer, repartis par la mer, ont aimé ce port et ce pays. Tous les récits de ces noms connus, de Slocum à Van de Wiele, disent la sauvage beauté des îles, la gentillesse de leurs habitants. Pour combien de temps encore ? …


Promenade solitaire, envie de s’échapper des autres ; de goûter mieux le pays, de recevoir des images aperçues en les approfondissant. Aujourd’hui à terre, demain la pleine mer. Le large…demain ? Instant qui passe et qui ne sera plus, plus jamais le même. Quelles heures me sont réservées ?


Le temps est toujours brumeux, empêchant de voir Pico nous dominer, mais que l’on sait présent, là, juste après le môle. Un de ces temps d’octobre français, avec la douceur de l’air en plus, qui vous enveloppe et vous sécurise. Ah quelle belle navigation nous allons faire ; que la mer me semble attirante quand la terre est accueillante, comme aujourd’hui.

 
Il faut faire un bon bout de chemin pour aller « en ville », passer devant les chantiers, le bâtiment des douanes. Ensuite le petit môle, auprès duquel sont nichées les baleinières, si délicatement peintes, et si fines : des barques de lac servant à la tuerie. Le harpon qui s’enfonce… la ligne qui file. L’ancestral métier tiendrait-il lieu de courage ?


Jour de fête, temps gris et joie au cœur. Depuis ce matin, Horta est prête. Les fanfares des autres îles sont toutes venues ; la sainte locale va être promenée dans les rues. Ici le profane se mêle au religieux de manière naturelle. Quelle ferveur et quelle foi émanent de ces gens simples, différents, préservés au milieu de l’océan. Les musiciens défilent lentement, s’arrêtant par moments pour attendre la suite du cortège. Puis viennent les écoles. Comme ils sont beaux, les enfants açoriens ! Leurs yeux sont aussi bleus qu’est noire la lave de leur pays. Etrange race, ou la consanguinité pourrait faire craindre les dégénérescences, et qui semble si pure. Le recueillement de la foule est réellement impressionnant. Est-ce de savoir le départ si proche qui me donne la folle envie de rester, d’en savoir plus sur ces gens attachants, de mieux les découvrir ?


Rester, oui, ne rester que quelques jours encore. Ah ! si j’étais seul… Un jour, je reviendrai.


…………………………………………………………………………………………………………… Le vent a dégagé une partie du ciel, lui enlevant sa brume, amenant d’autres nuages. Le plan d’eau moutonne sous les rafales qui tombent des montagnes, et le mât vibre parfois. Le mauvais temps ? Bien sûr j’y pense ; peut-être nous attend-t-il au dehors. Mon baptême avec le large risquera d’être arrosé. Mais ne suis-je pas ici un peu pour çà ?
A mesure que le temps passe, la nervosité du reste de l’équipage me gagne. Rester plus longtemps, oui. Mais puisque je sais que ce n’est pas possible, alors partons. Est-ce l’inquiétude qui s’insinue en moi insidieusement ? Non, c’est une émotion difficile à exprimer, encore plus à maîtriser. 

 
Cette excitation des sens est pour moi le moment privilégié où rien ne s’est passé encore, mais où plus rien n’est également comme avant. Si je devais la résumer, ce serait par une pensée : « Désir de bien faire ». Mais n’est-ce pas à peu de choses près la devise qui figure en français sur le socle d’une statue, dans un jardin public d’Horta ? Açores, Horta. Les images du début en amènent d’autres, les font ressurgir, reliées entre elles.


…Port d’Horta, comment te quitter sans avoir évoqué le Café Sport, qui peut rassembler à lui tout seul toutes les nostalgies de tous les bistrots du monde ? Et Peter le patron, qui résume et personnifie les Açores et son tempérament si particulier : la gentillesse, le désintéressement surtout, devenu si rare de nos jours.
…Où êtes-vous maintenant, compagnons d’escale, oiseaux de passage : anglais blond sur son fifty, gens du Galapagos, Damien et les autres ?

 
…Première nuit à bord du bateau. Le sommeil ne vient pas facilement. Les images défilent dans ma tête : l’avion, l’aéroport. Je me lève d’un seul bond, monte les marches de la descente et fixe, halluciné, la lumière orange et crue du pont d’un bâtiment de guerre portuguais accosté juste derrière nous. Le sommeil avait dû venir.


…Première rencontre : Marc dans l’avion qui nous amenait d’Espagne. Premiers contact avec les autres équipiers. Une bonne équipe, je crois. L’air est doux et le ciel clair. La promenade est belle pour aller en ville ;les affinités se dessinent, les plaisanteries fusent.
Demain, c’est décidé, nous partons. Alors ce soir, dernier dîner à terre, avec beaucoup de beurre et de frites pour les Français, et du vin de Pico.
Faire du fuel, les dernières provisions, repérer les différentes manœuvres. Le vent souffle frais. Départ à la voile du quai. Toutes les images s’accélèrent. Nous sommes dehors.
Au revoir Horta…


Plutôt agité le chenal de Faïal, et les premiers contacts avec la barre à roue sont vraiment…déroutants ! Beau sillage en dents de scie à cette allure de largue. De toutes manières, mes petits camarades semblent avoir les mêmes problèmes – sauf Michael et Philippe qui arrivent des Antilles – ce qui nous vaut notre première leçon de travaux pratiques par Raymond, notre skipper :
- Tout en douceur… Moins vous la tournez, mieux ça se passe.
Ses yeux si bleus, délavés de toute l’eau de tous les embruns reçus au cours de ses années de bourlingue, ses yeux si souvent rieurs se sont fait graves. Sa bouche détache posément les mots, un par un, ainsi qu’il le fait chaque fois qu’il explique. Chercher à faire comprendre, aujourd’hui à nous, demain à d’autres ; sa passion de l’enseignement ne peut être dissociée de son amour de la mer. Raymond sans bateau ? Impensable, mais bateau sans élèves également.


Faïal se dilue dans le crépuscule ; Pico se montre enfin, pour un adieu, un signe de tête, le corps noyé dans les nuages. Les restes du repas pris dans le cockpit partent à la mer. Le barreur reste seul dehors ; la nuit nous enveloppe : première nuit en mer… Essayer de dormir… Prise de quart à deux heures.
Elie fait équipe avec moi. L’informaticien suisse né en Grèce, à la peau mate d’oriental, fixe intensément la rose du compas, masquée à moitié par la petite coupole de cuivre. Il a laissé pour un temps ses boîtes de lait Nestlé, mais gardé son accent.


Plus de vent. Nous glissons dans la phosphorescence à même pas un nœud. Inlassablement, les phares de Graciosa et Sao Jorge se répondent. Magie de la nuit. Douceur et calme. Ces soufflements discrets, ces traînées de lueurs verdâtres autour de la coque : nos premiers dauphins qui nous rendent visite. L’impression de dépaysement est alors totale : marsouins et douceur de l’air, quart de nuit et feux inconnus ; jolis moments d’émotion à retenir son souffle


Avec l’aube le vent est revenu, et nous nous permettons un changement de voiles d’avant. Graciosa commence à s’estomper dans une brume légère, Terceira se distingue loin sur tribord. Le large est devant nous, le vrai, celui qui ne nous fera plus voir de terre avant une douzaine de jours. Terceira, dernière vision des Açores…
L’air du large, qui gonfle la poitrine et les voiles du bateau, est là, et bien là. Largue, force 5 à 6, bleu profond et blancs moutons, ciel clair et soleil ardent. Mon Dieu que la navigation est jolie !
Je resterai ainsi toute la matinée à savourer mon plaisir, allongé sur la plage arrière, ma guitare entre les bras.
…………………………………………………………………………………………………………….


Quart de nuit, paupières lourdes et mal au crâne, qui s’amplifie.
Cette angine que je traîne depuis plusieurs jours, et que j’ai essayé d’ignorer depuis mon départ, ce mal qui me fait grimacer pour déglutir a gagné. Les heures passent, sans que je puisse trouver le sommeil, rythmées par le changement de quarts auxquels je ne participe plus, brûlant de fièvre.

Les jours passent ; un, deux, trois, quatre… Alors, allongé sur la couchette, ne me levant que pour avaler le bol de bouillon préparé par Raymond, je me demande ce que je suis bien venu foutre ici, et je me prends à détester cette vie en mer que j’aurais tant voulu aimer, à vouloir échanger n’importe quoi contre l’arrêt de cette navigation au près, bateau tapant dans les vagues.
- Tu comprends, dis-je à Marc, rien de ce que j’aime dans le bateau, je ne le retrouve en ce moment.
Mais bien sûr, comment pourrait-il comprendre, lui qui est en bonne santé, et pour qui quart rime avec barre, repos avec dodo ?


Le vent siffle et souffle avec force en haut. Il fait nuit ; « Similou » fonce en aveugle et tape violemment dans chaque creux. Très soudainement, un fort coup de gîte ; la barre anti-roulis ne m’a retenu qu’à grand’peine. J’entends le barreur dire : « celle-là, je n’ai pas pu l’éviter ». Un des gars traverse le carré, revient en tirant un sac à voile : Raymond a décidé de mettre le tourmentin. Et tout-à-coup, changement total, pour la même force de vent et de mer : le bateau est à la cape, et ne subsiste plus qu’un léger balancement ; même la voix des éléments semble s’être calmée.

 
De touts ces jours et ces nuits passées en bas, de ce brouillard confus de souvenirs enfiévrés me reste l’impression d’un mauvais rêve.
Et puis doucement, j’ai repris ma place au sein de l’équipe. D’abord les quarts de jour, puis ceux de nuit. La croisière continuait.


Quarts de jour, à la barre, détendu, avec rien que la mer autour, cette visibilité sans limites, et une route à faire si petite, si étroite, qu’elle oblige l’œil à regarder le compas toutes les minutes.
Quarts de nuit, sens tendus, mots murmurés, lampe vite éteinte, carrés de chocolat au goût si savoureux.
Il fait froid, et nous n’allons dehors qu’avec les cirés pas dessus les pulls et vestes, et de grosses moufles pour barrer. Où est la réalité d’un temps alizéen, rêvé depuis longtemps, et symbolisant pour moi cette traversée ? Brises folâtres, vents debouts, froidure d’automne. Non décidément, l’Atlantique à cette latitude ne peut jouer les tropiques.


Jour après jour, nous gagnons dans l’Est, et la route s’allonge sur la carte. Sextant, instrument magique. L’initiation est accomplie, et je tutoie maintenant le soleil, capable de ma situer dans l’univers liquide qui nous entoure. Impression visuelle d’être toujours au même endroit sur ce tapis mouvant, démentie par ces points portés sur la carte.


Les brises folles que nous recevons sur l’étrave nous obligent à tirer de longs bords, et le moment du point souvent décevant au vu de cette couture en zigzag tracée sur le papier.
La Corogne est sur tribord, à une centaine de milles. Rêve d’escale qui passe… Là aussi, revenir un jour, seul ; pouvoir décider de la poursuite ou de l’arrêt, pointer le nez du bateau vers où bon me semble, porter sur la carte les points nés de mes décisions. Patience… « Avant d’être capitaine », dit le proverbe. Je sais maintenant que tout est possible, si je le veux, et quand je le pourrai.


…………………………………………………………………………………………………………….
Dernier quart de nuit. Nous allons voir la terre, la TERRE, aujourd’hui. Pour le moment, nous distinguons à peine l’avant du bateau, noyé dans un rideau de pluie dense. Pluie et vent, grondement sourd : l’orage est proche. A quatre pattes, je progresse vers l’avant. A l’écubier, bien arrosé par les paquets de mer lancés à l’horizontale, je tire une bonne longueur de chaîne et reviens la frapper au pied d’un hauban, le reste pendant à l’eau : le mât servant de paratonnerre, la continuité du fer permet ainsi la « mise à l’eau » de la foudre… en théorie ! Je préférerais ne pas avoir à vérifier de visu.


Une arrivée, ça s’arrose ! C’est trempé que je regagne le cockpit où Elie, ruisselant et stoïque, s’emploie à négocier les plus fortes vagues.
Et puis, comme toujours, après la pluie vient le beau temps. Et aux premières lueurs du jour, nous restons avec le quart montant, ne voulant pas laisser passer le moment où nous apercevrons la terre.


Et après le beau temps vient … la brume !
Depuis avant-hier, la gonio étant en panne, seule l’estime nous permet de nous situer vers l’île d’Yeu. Alors nous sommes tous sur le pont, sens tendus, les yeux rivés sur un horizon imaginaire, barré à un demi-mille par cette nappe d’ouate qui nous enveloppe dans son cocon. Le bateau à peine gîté se fraye un chemin par un vent léger. Quel contraste entre le calme des éléments et la tension que nous ressentons !


C’est au début très imprécis, une espèce d’aura sombre qui tranche sur la grisaille ambiante. Et puis, très vite, se dévoile la haute stature du phare des Chiens Perrins, la pointe nord-ouest de l’Ile.


Intense émotion, joie explosée. Nous avons réussi un atterrissage parfait. Nous voyons la terre pour la première fois depuis quatorze jours, depuis Terceira des Açores. Nous avons tendu le fil de notre route entre deux îles…
Et cette vision, sortie de la brume à cet instant précis, tient pour moi de la magie ; tant il est vrai qu’en mer je ressentais l’impression d’être parti de nulle part pour arriver nulle part, d’être hors du temps et de l’espace…
L’immatérialité, c’est peut-être la mer ? Que pourrais-je souhaiter d’autre qu’y retourner ?


Estepona - janvier 1981



Dernière édition par kobaya le Dim 11 Mai 2014 - 18:56, édité 2 fois (Raison : correction orthographique)
arthur gordon
arthur gordon

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Dim 11 Mai 2014 - 20:29
Il est chouette ton récit Kobaya !

Je retiens la belle image du fil conducteur où tu évoques "une route à faire si petite, si étroite, qu’elle oblige l’œil à regarder le compas toutes les minutes". Et puis : "nous avons tendu le fil de notre route entre deux îles".

Et aussi, lorsque tu regrettes de ne pouvoir aller où tu voudrais ainsi que de pouvoir visiter ces îles, je repense à ce texte de Cendrars que j'aime particulièrement :

Iles
Iles
lles où l’on ne prendra jamais terre
Iles où l’on ne descendra jamais
Iles couvertes de végétations
Iles tapies comme des jaguars
Iles muettes
Iles immobiles
Iles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais
bien aller jusqu’à vous
kobaya
kobaya

Votre première traversée Empty merci

Dim 11 Mai 2014 - 20:49
Content que mon petit texte t'aie plu, Arthur  study 

et les paroles de Cendrars s'appliquent bien en effet aux regrets que l'on peut parfois éprouver devant des terres sans escale..
Vito _/)
Vito _/)

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Dim 11 Mai 2014 - 20:53
Flora;) a écrit:Je crois (à confirmer car je n'y suis pas retournée depuis les années 90) que Cabrera est très protégée maintenant, il faut un permis et on ne peut pas y rester + de qqs jours. C'est plus organisé, il y a des corps-morts et on peut débarquer à un seul endroit (où il y a des trucs à acheter... non, tu crois ?)
Mais c'est un mouillage très protégé, bien fermé, vaste, magnifique.
En 2009, fallait faxer une demande d'autorisation quelques jours avant, pour une escale limitée à une nuit. Débarquement au pied du château, vue superbe sur ce mouillage calme comme un lac de montagne, effectivement équipé de corps-mort (couleurs différentes selon taille boats). Un seul mini bistrot comme commerce.

Superbe souvenir...
H2oh!
H2oh!

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Dim 11 Mai 2014 - 22:58
Ton récit est captivant Kobaya! Merci de nous faire partager tes émotions  sunny , on vibre aussi en te lisant!
kobaya a écrit:je ressentais l’impression d’être parti de nulle part pour arriver nulle part, d’être hors du temps et de l’espace…

Retrouves-tu aujourd'hui cette impression lors de tes navigations?
jpla
jpla

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Dim 11 Mai 2014 - 23:06
kobaya a écrit:Depuis avant-hier, la gonio étant en panne, seule l’estime nous permet de nous situer vers l’île d’Yeu.
... Nous avons réussi un atterrissage parfait.

Dieu que c'est agréable de parvenir à ses fins avec à peu près rien !
kobaya
kobaya

Votre première traversée Empty plus pareil..

Lun 12 Mai 2014 - 7:14
H2oh! a écrit:
je ressentais l’impression d’être parti de nulle part pour arriver nulle part, d’être hors du temps et de l’espace…

Retrouves-tu aujourd'hui cette impression lors de tes navigations?

 en fait, cette croisière de retour des Açores a été la seule fois où j'ai réellement été en mer pendant plusieurs jours de suite. Si je suis devenu capitaine de mes bateaux, l'expérience de la haute mer n'a pas vraiment été renouvelée.

Il m'est arrivé de faire de la semi-hauturière, mais je n'ai pas ressenti la même chose.
Flora;)
Flora;)

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Lun 12 Mai 2014 - 7:30
[quote="kobaya"]Souvenirs de ma première "grande" (!) traversée Açores - France... au siècle dernier  (1978)!  Cool 

Ah de la belle lecture en perspective...
A+
 sunny 
sylv1
sylv1

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Lun 12 Mai 2014 - 9:59
C'est beau, ça fait rêver, merci!
Si comme Arthur, je retiens ces passages, je lis aussi cette sensation étrange, où lorsque l'on se sent moins bien à bord, on en vient à être partagé entre l'envie d'y être, et l'envie d'en sortir, auxquelles s'ajoute ce sentiment bizarre d'injustice parce qu'on voudrait tant profiter de ce rêve devenu réalité alors que l'état ne le permet pas.
Pourra-t-on un jour être bien, ou est-ce qu'on devra "souffrir" à chaque fois?, l'envie est -elle compatible avec notre corps, si difficile à comprendre et à maîtriser?

Toujours est-il qu'on veut y retourner ....
kobaya
kobaya

Votre première traversée Empty santé à bord..

Lun 12 Mai 2014 - 13:13
si je n'avais pas eu ce problème d'angine qui m'a cloué plusieurs jours dans la bannette, le bonheur était total !

Mais c'est vrai que malade à la maison, ce n'est déjà pas réjouissant, mais en mer ça n'a vraiment plus rien de drôle!  Votre première traversée 3259188936
Flora;)
Flora;)

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Lun 12 Mai 2014 - 13:41
kobaya a écrit: Souvenirs de ma première "grande" (!) traversée Açores - France... au siècle dernier  (1978)!  Cool 


Estepona - janvier 1981

Très bien écrit ton récit !
Votre première traversée 1334535199

Ah ! la réalité est parfois bien loin du rêve !
Les Açores - Yeu, c'est en effet très loin des tropiques et de l'alizé...

Mais tu n'as pas eu de chance, malgré tout.

Question : tu as écrit cela à Estepona, au sud de l'Espagne, 3 ans plus tard ? Il y a donc eu une suite ? Laisse béton si je suis indiscrète.
kobaya
kobaya

Votre première traversée Empty Estepona

Lun 12 Mai 2014 - 16:26
Un peu mon jardin... totalement défiguré maintenant par le bétonnage intensif.



 Que ce soit en bateau ou à terre à travailler, j'ai du passer à peu près cinq années dans ce coin de la Costa del Sol.





Quand j'ai écrit ce texte, j'hivernais là-bas avec  mon Trismus..."Kobaïa". J'ai eu le plaisir d'y rencontrer Jean-Marc Asencio, autre trismussien qui a écrit un livre amusant et plein de poésie "Les anti-aventures de Coquimbo", préfacé par Annie Van de Wiele (et que je recommande)  study .





Il faisait dans le coin du fret avec Gibraltar, dont la frontière terrestre était fermée à l'époque.  pirat 



Nous avons sympathisé, et nous sommes tirés parfois la bourre.. Cool 





Et voilà l'explication..   Wink 


Votre première traversée Dans_l12
Flora;)
Flora;)

Votre première traversée Empty Trismus Coquimbo

Lun 12 Mai 2014 - 17:07
Votre première traversée 867265674 Ah c'est rigolo, il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas !
J'ai bien connu Coquimbo avec Jean-Marc et sa compagne d'alors, dont le nom m'échappe !
Nous nous sommes rencontrés à Sidi Ferruch (Algérie) et avons fait toute la côte de concert jusqu'à Tabarka (Tunisie).

J'ai fait une escale prolongée à Estepona aussi, avant la marina, c'était encore un joli port de pêche avec une vie normale à l'espagnole...
Flora;)
Flora;)

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Lun 12 Mai 2014 - 17:14
Romuald a écrit: Flora, envoie-moi tes photos par mail, je les publierai dans ton post.

C'est fait, je les ai publiées toute seule, comme une grande !
Comme tu me l'as toi-même montré.
Un truc m'agace, c'est quand on a plusieurs photos à poster, elles sont publiées dans l'ordre inverse, la dernière se retrouve la première, c'est pas facile pour les légendes...

Mais comment fait-on pour les passer par l'appli de jpla ?

Votre première traversée 2143587203
kobaya
kobaya

Votre première traversée Empty eh oui !

Lun 12 Mai 2014 - 18:43
Flora;) a écrit:
J'ai fait une escale prolongée à Estepona aussi, avant la marina, c'était encore un joli port de pêche avec une vie normale à l'espagnole...

le petit village typico, à l'andalouse, s'est au fil des années totalement transformé, les collines environnantes ont été truffées de verrues immobilières, les contreforts de la Sierra Bermeja eux-mêmes ont commençé d'être livrés aux pelleteuses et aux grues, les "oiseaux du pays" comme les appellent les autochtones..  Votre première traversée 3259188936 
Flora;)
Flora;)

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Ven 16 Mai 2014 - 18:14
Votre première traversée 503786906 
Qui prend la suite ?
C'est sympa les histoires de traversée... pour les malheureux qui travaillent !
H2oh!
H2oh!

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Dim 18 Mai 2014 - 23:00
Je viens de trouver le post où tu as mis, Flora, les photos de ta première traversée!Super chouette! sunny  du coup je comprends mieux ton post:drunken
Flora a écrit:Flora le Lun 12 Mai 2014 - 17:14
Romuald a écrit: Flora, envoie-moi tes photos par mail, je les publierai dans ton post.

C'est fait, je les ai publiées toute seule, comme une grande !
Flora;)
Flora;)

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Sam 5 Juil 2014 - 12:50
Le fil de Kobaya "j'ai testé la nav presse-bouton" me fait penser à ma deuxième traversée sur les Baléares.
C'était la première avec notre nouveau bateau (Flot 40) et pour notre petite famille aussi.
Partis aussi de Port-Vendres, nous sommes d'abord descendus à Sant Feliu de Guixols.
La marina très sélect actuelle n'existait pas. On se mettait à quai avec les pêcheurs.

C'était en septembre, il faisait beau.
Nous étions 3 à bord, mon mari, mon fils qui avait alors 7 ans et moi.
Traversée cool, petit vent, à l'estime.
Au petit matin, brume et une grosse masse noire nettement à tribord de la route.
Allers-retours du cockpit à la table à cartes.
Discussions entre nous.
Nicolas attentif mais muet.

Un moment plus tard, une autre masse sombre plus bas sur l'eau, pile dans le cap : Minorque !

Oui, les sommets de Majorque sont beaucoup plus hauts que les falaises de Minorque et se voient de plus loin au large...

Réflexion réjouie de mon pitchoun : alors on sait où on est, maman ?

sunny
kobaya
kobaya

Votre première traversée Empty Re: Votre première traversée

Sam 5 Juil 2014 - 14:52
Laughing
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